Cécile, 25 ans, étudiante

Bonjour, j'ai écrire ce témoignage avec le plus de précisions possibles parce que je me suis – dans un premier temps – heurtée au refus des médecins de comprendre et de diagnostiquer mes douleurs – un diagnostic d'embolie pulmonaire étant peu évident, peu fréquent chez une jeune femme de 21 ans active et en très bonne santé – mais pourtant sous pilule. Ma première embolie pulmonaire n'a pas été diagnostiquée et donc pas soignée. Je raconte aussi les épisodes qui ont suivi (deux autres embolies), mon hospitalisation de trois semaines et le traumatisme psychologique a posteriori.

"Trois embolies pulmonaires en trois mois, la première non diagnostiquée. Des cauchemars pendant plusieurs semaines et beaucoup d’angoisses. Je vivais à Londres où je faisais des études de cinéma et d'histoire en vue d’obtenir un Bachelor of Arts l’université de King’s College. Un lundi à la fin du mois de mars 2009, je me réveille essoufflée, à tel point que je ne peux aller en cours ce jour-là. Ma respiration est trop bruyante et haletante, m’empêchant de parler distinctement. Je décide finalement de me rendre le soir, accompagnée par ma colocataire, en taxi chez un médecin de nuit de la NHS. Il me répond que je suis stressée et que le sport pratiqué le week-end passé (exercices habituels pourtant) doit être à l'origine de ma douleur. Il me recommande seulement de prendre du doliprane et « ca passera ». Je rate une semaine de cours, immobilisée par la douleur et les essoufflements. Par chance j’avais prévu de rentrer à Paris le vendredi pour une semaine de vacances. A peine arrivée je me suis rendue chez mon médecin traitant qui m'a fait faire une radiographie de thorax et un scanner le 1er avril (suite donc à l’apparition d’une « dyspnée non fébrile »). La douleur était si aigüe que je ne pouvais plus rire et contracter l’abdomen. A la radio les médecins ont identifié une opacité sur le poumon, diagnostic : « pneumopathie basale droite » selon les termes médicaux, ou pneumonie. [Là déjà on aurait du me faire faire une prise de sang grâce à laquelle on se serait aperçu de l’épaisseur anormale de mon sang. C’est à l’HEGP quelques mois plus tard que les radios ont été relues et qu’a été identifiée, a posteriori, une première embolie pulmonaire.] Mon médecin traitant m’a donc prescrit trois semaines d’antibiotiques, la douleur s'estompe progressivement. Une deuxième radio thoracique 15 jours après la première montre en effet que l’opacité sur le poumon a réduit.

Puis trois mois plus tard, le 28 mai exactement, nouvelle douleur cette fois-ci à la jambe gauche, à l'aine exactement pendant une période de révision et donc de grande immobilité. Puisque je bouge peu je ne m’alarme pas et me dit que les douleurs sont liées à cette immobilité, à l’absence de sport temporaire et à une mauvaise circulation sanguine. Je me réveille un matin épuisée, descends les escaliers de mon appartement, douleur encore plus accrue. Je m'assieds dans la cuisine et m'évanouis immédiatement – encore, par chance, devant ma colocataire. Perte des sens (vue, odorat et ouïe), sueurs froides, puis perte de connaissance, fatigue extrême pendant 5 à 10 minutes, une douleur vive dans la jambe et le ventre (les poumons). Ma colocataire essaye de me « réveiller ». Je reviens à moi après quelques minutes. Mais la douleur dans la jambe demeure, à tel point qu’elle m’empêche de marcher. Je décide donc de commander un taxi et d’aller dans un centre médical de jour où un médecin pourra me voir sans rendez-vous. Réponse immédiate du médecin qui m’ausculte : rien d’alarmant. Il tient le même discours que les deux médecins anglais précédents. Mais devant mon insistance et mes larmes de douleur, il finit par accepter de me diriger vers les urgences les plus proches. Je reprends un taxi, toujours incapable de marcher et je passe plusieurs heures (une après-midi entière) aux urgences d’un hôpital de l’est londonien dans le quartier de Whitechapel – le Royal London Hospital. Arrive enfin mon tour en fin de soirée. Après avoir testé ma tension et m’avoir fait d’autres examens non concluants le médecin des urgences décide de me faire une prise de sang, enfin. Ma jambe est déjà un peu gonflée. Mon sang est extrêmement épais, et on m’attribue immédiatement un lit. Dans la panique je trouve des prétextes et refuse de rester à cause d’examens scolaires importants trois jours après mais les médecins refusent catégoriquement et me forcent à rester allongée. Je comprends alors que c’est assez sérieux. Radios + scanners : un gros caillot dans l’aine et des petits caillots dans les poumons. Ils m’expliquent que je fais une phlébite et une embolie pulmonaire. Mes gros mots de tête leurs font craindre quelque chose de plus grave. On me met sous anticoagulants immédiatement, des prises de sang tous les matins pour ajuster les doses et équilibrer l’INR (taux de prothrombine). Ma jambe a doublé de volume, je dois marcher le moins possible. Je passe deux semaines allongée dans cet hôpital dans des conditions très spartiates (10 lits dans une salle partagée avec des patients bien plus âgés dont les troubles sont très différents des miens), et dans une chaleur caniculaire au mois de mai-juin. Heureusement quelques amis londoniens et des membres de ma famille viennent me rendre visite de France. Trois ou quatre jours après le début de mon hospitalisation une nouvelle grosse douleur me paralyse une nuit, je me lève et m’évanouis devant les infirmières, une nouvelle embolie pulmonaire (la troisième donc, la deuxième c'était le premier évanouissement dans mon appartement.) Les médecins ont alors hésité à me mettre un stent à l’endroit où se trouvait mon caillot pour faciliter sa désagrégation.

Mes parents insistent pour me faire revenir en France et rencontrer des spécialistes à Paris. Contre l’avis des médecins anglais mais pour des raisons pratiques et financières, je prends l’Eurostar avec ma mère qui me transporte en chaise roulante vers le train et à ma descente à Paris. Les médecins anglais m’avaient déconseillé un tel voyage non médicalisé qui risque de faire remonter à nouveau dans les poumons des morceaux du caillot qui n’est pas totalement dissout. Dès le lendemain j’ai eu la chance d’être reçue à l’hôpital Georges Pompidou à Paris dans le service de médecine vasculaire grâce à un oncle médecin qui a pu m’obtenir un rendez-vous (accompagné d’une hospitalisation éventuelle). Les médecins décident de m’hospitaliser. J’y reste une semaine en observation dans des conditions toutes autres, chambre seule, confort absolu. Dans ce même hôpital on me fait des tests génétiques dont les résultats sont connus quelques mois plus tard : deux facteurs qui multiplient les risques thrombo-emboliques, mutation hétérozygote pour le facteur V (Leiden) et le facteur II. Combiné à une prise de pilule contraceptive et une tabagie, bien que très légère (un demi paquet par semaine). Un terrain génétique favorable – que nous ignorions – hérité à la fois de mon père et de ma mère et que je partage avec mes deux plus jeunes sœurs qui ont depuis arrêté toute prise de contraceptif à base d’œstrogènes. Nous devons maintenant prendre des contraceptifs progestatifs dont il existe plusieurs formes, la plus courante est une pilule non remboursée, la Cérazette.

Cette histoire m’a permis de découvrir le système de santé public anglais (NHS) qui est assez limité mais totalement gratuit (je n’ai jamais fourni de papiers d’assurance ou d’identité) et de le comparer au système français : je n’ai pas dépensé un seul centime lors de mes passages chez les médecins à Londres (heureusement d’ailleurs puisque trois médecins m’ont prescrit du doliprane et je suis restée une à deux minutes dans leur cabinet). Rien non plus pour mes deux semaines à l’hôpital et les anticoagulants qu’ils m’ont prescrits. Je suis en plus repartie de l’hôpital avec deux boites de seringues d’anticoagulants gratuites.

Même si cet épisode ne m’a laissé – presque – aucune séquelle physique, il a bouleversé six mois de ma vie d’étudiante et m’a laissé de longues semaines perplexe et dans l’incertitude quant au sérieux de ma situation physique et scolaire. Le malaise provoqué par la deuxième embolie pulmonaire et mon hospitalisation sont arrivés trois jours avant des examens importants dont les résultats étaient déterminants pour mon admission dans une université américaine pour laquelle j’avais travaillé très dur pendant les deux années universitaires qui précédaient (un échange dans l’université californienne de Berkeley). Pendant plusieurs semaines je ne savais pas combien de temps je serais immobilisée (au final trois semaines à l’hôpital mais ensuite un été sacrifié, ce qui est contrariant quand on est étudiant et que l’on doit faire des stages ou gagner sa vie). Quelques semaines avant ma rentrée américaine qui devait avoir lieu mi-août et alors que j’avais tout préparé, les médecins refusaient de se prononcer sur mon état à moyen terme et sur la possibilité de mon départ. Finalement j’ai pu faire ma rentrée à Berkeley sans problème et être suivie là-bas (INR vérifié deux fois par semaine pendant six mois, puis une fois par semaine afin d’équilibrer les doses d’anticoagulants). Le port indispensable et quotidien des bas de contention de classe III (les plus serrés) en arrivant en Californie où il faisait entre 25 et 30 degrés était contraignant, peu esthétiques et les bleus et saignements dus aux éventuels coups ou blessures sont des désagréments minimes mais pénibles. Enfin j'ai été contrainte d'arrêter mes activités sportives pendant plusieurs mois pour éviter de m'exposer à des coups.

D’autre part, cette manifestation de faiblesse physique a aussi profondément atteint ma confiance en moi, déclenchant une prise de conscience de mes limites alors que j'étais une jeune fille très active et en excellente santé. Avec du recul j’ai pu mesurer cet impact psychologique et repenser aux mois d’angoisses nocturnes et de cauchemars récurrents qui ont suivi. En effet à plusieurs reprises les médecins en France et en Angleterre m’ont dit que j’avais eu « beaucoup de chance », que les embolies auraient pu m'être fatal. Je ne sais toujours pas pourquoi j'ai autant insisté pour aller à l’hôpital contre l'avis des médecins qui m'assuraient que je n'avais rien de grave mais une chose est sûre, cette intuition m'a sauvé. J’ai aussi eu de la chance d’être entourée de manière générale et lors de mes malaises.

Les erreurs qui ont été commises par l’absence d’un diagnostic d’abord, et par l’erreur de diagnostic ensuite sont partagées entre mon médecin traitant français de l’époque qui ne m’a pas fait faire de prise de sang, les radiologues et des différents médecins anglais qui ont refusé au tout début de prendre au sérieux mes douleurs et essoufflements à plusieurs reprises. Cependant je ne cherche pas à accuser le corps médical, et pour en avoir parlé avec des amis internes en médecine, je sais que la possibilité d’une embolie pulmonaire ou d’une phlébite n’est pas évidente chez une jeune femme de 21 ans. En plus il se trouve que j’avais un terrain génétique favorable dont personne n’était au courant dans ma famille. Et même si ma dermatologue, ma gynécologue ou mon médecin traitant avaient clairement mentionné les risques thrombo-emboliques liés à la prise de pilule contraceptive (ils m’ont fortement déconseillé de fumer je le confirme), je n’aurais pas su les prendre au sérieux puisque je n’étais pas au courant de mes mutations génétiques. D’autre part, j’entendais et j’alimentais parfois les discours concernant les dangers de l’association pilule et cigarette chez certaines amies mais cela tenait plus de la légende pour elles et pour moi et nous ne connaissions ni la nature ni les effets ni les manifestations de ces risques, n’ayant jamais entendu de problèmes de santé liés à la pilule dans nos cercles amicaux et familiaux. Depuis ce qui m’est arrivée une prise de conscience s’est opéré chez mes amies qui sont toutes fumeuses régulières et certaines ont décidé d’arrêter la prise de pilules contraceptives.

Ma pilule m’avait été prescrite par ma dermatologue (j’en ai changé plusieurs fois, de mémoire j’ai pris la Jasminelle et la Méliane) pour des problèmes d’acné sévère et parce que j’avais été sous Roaccutane (Curacné) qui exige une prise de contraceptif en raison des effets secondaires graves en cas de grossesse. Pour des raisons pratiques j’avais décidé de ne pas l’arrêter pour conserver la régulation hormonale qu’elle m’apportait.

Trois ans après je suis en pleine forme. J’ai eu un suivi par écho doppler une fois par an depuis. Le caillot a mis plusieurs mois à disparaître totalement. Un an apres ma jame gauche faisait toujours 2 à 3 cm de plus que ma jambe droite (1cm aujourd’hui). Les seules contraintes aujourd’hui sont le port de bas de contention moins serrés (classe 2) mais que j’enfile quotidiennement été comme hiver puisque ma jambe gauche est lourde, gonfle et ma circulation toujours mauvaise en cas de fatigue, chaleur ou effort quand je ne les porte pas. Je dois aussi être très vigilante lors de mes voyages en avion, surtout sur les vols long-courriers et prendre de fortes doses d’anticoagulants 48h avant et après. Enfin de plus gros désagréments sont à prévoir en cas de grossesse(s) future(s) pendant lesquelles je devrai rester allongée le plus possible et être suivie de près.

Finalement, la question que je me pose maintenant c’est pourquoi ne prescrit-on pas directement des pilules progestatives ? A ma connaissance, elles sont légèrement moins fiables que les oestro-progestatives, et plus contraignantes (un oubli de moins de 12h est réparable avec les pilules oestro-progestatives alors que pour les progestatives, le délai est de 3h maximum) et peuvent engendrer des problèmes de peau mais elles n’augmentent pourtant pas les risques majeurs de thromboses. La Cérazette n’est pas remboursée. J’imagine que c’est un premier élément de réponse."